Prédication du 14 septembre 2025 - Luc 15.1-32 : Une grâce qui nous déplace

 

(Cette prédication a été partagée lors d'un culte commun entre l'Eglise Evangélique Libre d'Avignon, l'Eglise Protestante Malgache (FPMA) et l'Eglise Protestante Unie d'Avignon)

La joie de retrouver ce qui était perdu

Une pièce d’argent perdue, puis retrouvée… dans la joie. Une brebis égarée, ramenée au bercail… dans la joie. Un père qui accueille son fils disparu… et c’est la fête ! Ces trois paraboles ne sont pas de simples histoires : elles sont l’Évangile en action, un Évangile que nous avons résumé en début de culte par ces mots : « Dieu est un Père qui nous invite tous à sa table, avec amour et joie, sans tenir compte de nos péchés. »

À travers la femme qui cherche sa pièce, le berger qui part à la recherche de sa brebis, et le père qui attend son fils, c’est bien le cœur de ce Père que Jésus révèle, en partageant avec nous Sa joie qui éclate « quand un pécheur change de vie » (v. 7), « quand un pécheur commence une vie nouvelle » (v. 10), ou « quand il était mort et qu’il est revenu à la vie, perdu et retrouvé » (v. 32).

Cette joie, « dans le ciel, parmi les anges de Dieu », est le cœur même de ce passage. Elle nous invite à nous arrêter, à contempler l’amour inconditionnel de Dieu.


Comment ne pas évoquer ici le superbe tableau réalisé par Rembrandt sur la 3e parabole, ainsi que la méditation qu’Henri Nouwen propose de cette parabole en écho au tableau ? Je vous renvoie à cette lecture profonde et nourrissante pour méditer ces textes plus en profondeur. 

Une invitation à nous déplacer

On pourrait s’arrêter là, à la contemplation joyeuse de l’amour de Dieu révélé dans ces récits.

Sauf que… ce sont des paraboles, et que les paraboles ne sont pas seulement des récits pour nous transmettre des connaissances sur Dieu.

Elles sont des appels à nous « déplacer », à nous remettre en question. Jésus ne les utilise pas uniquement pour enseigner, mais pour toucher nos cœurs, pour « percer nos cuirasses » et susciter en nous un mouvement intérieur.

Dans ce passage, Jésus a une cible précise dans le collimateur, que Luc désigne au v.1 :

 « Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les spécialistes des Écritures critiquaient Jésus en disant : ‘Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !’ » Ces paraboles sont d’abord une réponse à ces critiques. Elles s’adressent d’abord à ceux qui, comme les pharisiens jugent inadmissible que Jésus accueille les pécheurs sans exiger d’eux un changement préalable.

Mais elles ont aussi quelque chose à nous dire, à nous aussi.

Deux fils, deux visages de notre humanité

Notamment la troisième parabole, souvent appelée « la parabole du fils prodigue », qui est en réalité « la parabole des deux fils », parce qu’elle met en parallèle l’itinéraire du cadet, qui part et revient, et celui de l’aîné, qui reste mais se révolte intérieurement.

Le cadet d’abord. Les usages de l’époque imposaient qu’un fils reste dépendant économiquement de son père jusqu’à la mort de celui-ci. Pour le cadet, dépendre de son père est devenu insupportable, c’est un obstacle à son bonheur, il veut être libre ! Alors il réclame sa part d’héritage et s’en va.

Echo de la rébellion d’Adam, toujours ancrée en nous, revenant par bouffées régulières, l’aspiration à se défaire de la tutelle de Dieu, à fixer ses propres règles, se rêver plus libre, plus plein sans lui… au risque de finir dans d’autres dépendances, comme ce fils qui finit quasiment esclave.

Ce cadet dit quelque chose de chacun de nous, et cela, nous l’acceptons assez volontiers je crois, en confessant nos péchés comme nous venons de le faire, par exemple.

Mais l’aîné, qu’a-t’il quelque chose de commun avec nous ?

Intéressons-nous aussi à lui, l’aîné, parce qu’il est au cœur de la parabole. Cet aîné mécontent de voir son père accueillir le frère rebelle sans rien lui reprocher, tuant même le « veau gras » en son honneur, et qui ne comprend pas : « Moi, je t’ai servi sans jamais désobéir, et tu ne m’as jamais donné même un chevreau pour faire la fête avec mes amis ! » (v. 29

C’est pour lui qu’est la dernière parole, ouverte, sans conclusion : « 31Le père lui dit : “Mon enfant, toi tu es toujours avec moi, et tout ce que je possède est à toi. 32Mais nous devions faire une fête et nous réjouir, car ton frère que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et le voilà retrouvé !” »

Spontanément, on est tenté de dire que cet aîné, ce sont juste ces pharisiens auxquels Jésus répond ici, qui comme lui n’acceptent pas que des pécheurs soient accueillis. Bien sûr, Jésus s’adresse d’abord à eux… mais aussi à nous, qui portons aussi ce frère aîné et sa colère en nous, nous qui sommes  peut-être plus proches des pharisiens que nous ne le pensons. 

La grâce : un mystère qui nous dérange

Car la colère du fils aîné, qui fait écho à celle des pharisiens, ne nous est pas étrangère. On peut la résumer en un cri : « ce n’est pas juste ! ».

Pas juste que celui, qui n’a rien respecté des paroles du Père, qui l’a méprisé même, soit traité par lui de la même façon que celui qui a été sérieux… Pas juste que celui qui n’a fait aucun effort soit aimé de la même façon par son Père que celui qui a tout fait pour lui plaire !

Pas juste que le mal commis ne soit pas pris en compte, que le coupable ne soit pas puni ! Que Dieu pardonne les pécheurs, d’accord… mais quand même pas ce monstre qui m’a fait tant de mal ?!

Les pharisiens, comme l’aîné, ont du mal à accepter que Dieu accueille les pécheurs sans leur reprocher leurs fautes. « À quoi bon respecter les commandements, si tout est pardonné ? », semblent ils dire. « Est-ce que notre sérieux devant Dieu ne compte pas à ses yeux ? »

Pas simple ! C’est que la grâce de Dieu, vraiment… nous déplace. Elle vient remettre en question des conceptions de la justice et du mérite qui sont profondément ancrées en nous. On a beau dire, il y a toujours des gens qu’on trouve plus pécheurs que nous… ce qui nous fait sentir plus saints, donc plus proches de Dieu ! Disons le, même entre nous, protestants de différentes traditions, ces jugements existent. Certains d’entre nous acceptent des choix de vie que d’autres considèrent comme inadmissibles devant Dieu… Et puis quand même, tout ce que nous avons fait pour l’Eglise, pour les autres… de là à considérer que l’on mérite un peu plus de faveur divine que les autres, il n’y a qu’un pas qu’on franchit très facilement !

Parce que cette tension entre l’amour de Dieu et sa justice nous déstabilise, nous tentons souvent de la résoudre de deux manières :

  • En niant la gravité du péché : « L’amour couvre tout, oublions ces notions culpabilisantes ! » (attitude du cadet).
  • En faisant du respect scrupuleux de la loi le centre de notre foi : « Seule la purification compte ! » (attitude de l’aîné).

Or, la Bible nous rappelle que ni l’un ni l’autre de ces excès n’est juste. « Personne ne sera reconnu juste aux yeux de Dieu pour avoir obéi à la Loi » (Romains 3.20), mais «purifions nous de tout ce qui salit le corps ou l’esprit » (2 Corinthiens 7.1).

Chacun reconnaîtra la tendance propre à sa tradition…   

Sans doute que nous oscillons tous entre les deux : parfois un comportement nous semblera un péché inadmissible, un obstacle total à l’amour… parfois nous minimiserons ce même comportement. Parfois nous nous sentirons profondément perdus comme le fils cadet… parfois nous nous sentirons un peu plus méritant que les autres … ou inquiets de ne pas être aimés par Dieu à la hauteur de nos efforts, comme le fils aîné. 

La parabole des deux fils vient questionner cette tension, cette ambivalence. A travers elle, c’est l’Evangile qui vient bousculer nos repères simplistes, ces conceptions en noir et blanc qui ferment nos cœurs à Dieu et aux autres. Comment s’articulent l’amour et la justice de Dieu, c’est un mystère devant lequel notre désir de maîtrise se brise.

La réponse que Dieu nous offre ici, ce sont simplement les actes de Jésus qui révèlent un Dieu d’amour qui mange et se réjouit avec les pécheurs sans pour autant renier sa justice, qui nous invite à revenir sans cesse vers lui et à nous réjouir aussi chaque fois qu’un autre fait ce chemin du retour.

La croix, où l’amour et la justice se rencontrent

De fait, la parabole montre que la justice de Dieu ne limite pas son amour, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas là. La colère du père ici se manifeste d’abord dans la liberté qu’il accorde à son cadet : « tu veux ta part d’héritage et en faire ce que tu veux ? Va. Vis les conséquences de tes choix jusqu’au bout ». Le père laisse son cadet suivre une logique qui va l’entraîner au fond du trou… sans l’abandonner. Magnifique image de la patience de Dieu.

Mais il nous faut aussi lire ces paraboles dans la perspective de la croix, qui au moment où Jésus prononce ces paroles est encore à venir. L’accueil que Jésus offre aux pécheurs ici annonce ce qu’il va accomplir peu de temps après en donnant sa vie. C’est là, sur la croix, que la tension apparente entre l’amour et la justice de Dieu s’est résolue pour nous. Sur la croix, l’amour et la justice de Dieu se rejoignent : « Dieu a fait de Jésus, qui ne connaissait pas le péché, un sacrifice pour le péché à notre place, afin que, par Lui, nous devenions justes aux yeux de Dieu » (2 Corinthiens 5.21).

Dieu a tout accompli en Christ pour que nous puissions être pleinement accueillis dans son Royaume, dans ses bras ouverts.

Vivre et annoncer cette grâce

Cette grâce nous « déplace » donc parce qu’elle renverse nos conceptions humaines de ce qui est juste ou pas.

Elle nous déplace aussi parce qu’elle met tous les humains sur le même plan : rebelles ou fils modèle, réformés, luthériens, évangéliques de longue date ou jeune croyant en pleine découverte… tous pareillement pécheurs, tous pareillement appelés à la repentance et au retour à Dieu, dans un changement de direction intérieur engagé et radical…

Et tous bienvenus à la table du Père, par Jésus-Christ !

Alors déposons devant Lui le fardeau de nos incompréhensions, de nos jugements les uns sur les autres, de notre inquiétude de ne pas faire bien, de ne pas être assez aimables…

Que nos Églises soient des lieux où « pécheurs de l’intérieur et pécheurs de l’extérieur » puissent se retrouver, manger et se réjouir ensemble, manifestant ainsi dans cette ville l’amour inconditionnel de Dieu.

Et que « la joie du ciel pour tout pécheur qui change de vie » emplisse nos cœurs et nous motive à partager l’amour de Dieu !

Amen

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